dimanche 8 novembre 2009

Morcellement, défiance et recentralisation latente

Jacqueline GOURAULT, sénatrice MoDem et vice-présidente de l’AMF a rédigé l’éditorial suivant pour La Gazette des communes du 9 novembre 2009.
Il s’agit d’une mise en perspective particulièrement claire des enjeux et des perspectives annonçant l’échec prévisible d’une réforme pourtant nécessaire.
“Avec la discussion parlementaire sur la suppression de la taxe professionnelle, nous sommes entrés au coeur du débat sur la réforme des collectivités territoriales. Cette réforme est absolument nécessaire : l’urgence est à la clarification des compétences et des moyens des collectivités. Je suis convaincue qu’elle pourrait aboutir si elle respectait cet équilibre particulier dans l’histoire de notre pays entre indivisibilité de la République et libertés locales. De nombreux éléments convergent pour rendre cette réforme improbable, voire impossible. Ce sont surtout la méthode et la philosophie employées qui m’interpellent : morcellement de la réforme, déclarations de défiance vis-à-vis des collectivités et des élus et recentralisation latente. La méthode tout d’abord : les premières interventions du président de la République, ainsi que le rapport « Balladur », ont laissé espérer qu’un texte d’ensemble serait présenté. C’est d’ailleurs ce que nous proposions dans la mission «Belot » dont j’ai été co-rapporteur : pour travailler efficacement, le Parlement doit disposer de textes cohérents permettant d’avoir une vision globale de la réforme envisagée. Or le gouvernement envisage de morceler la réforme, en présentant plusieurs projets de loi : sur la fiscalité locale, les mandats de certains élus, les institutions locales puis, enfin, un an après, sur les compétences. Autant dire une réforme à la découpe. Comment le gouvernement peut-il sérieusement envisager de déterminer les moyens mis à la disposition des collectivités locales avant de définir leurs structures et leurs compétences ? La création de conseillers territoriaux est-elle indissociable de leur mode d’élection? Et que dire de l’idée de créer de nouvelles structures et de nouveaux élus puis, un an plus tard, de se poser la question de leurs compétences et, plus généralement, des compétences des collectivités territoriales ? Alors que les crises économique, écologique et sociale pressent et que nos concitoyens attendent de l’efficacité et des actions concrètes, qui peut croire que les collectivités peuvent se permettre d’attendre encore deux ans pour connaître leur rôle et leurs compétences futures?
Certaines déclarations ont été particulièrement inopportunes : jeter l’anathème sur les élus locaux est tout simplement démagogique et contre-productif. L’une des conséquences de la réforme peut être la diminution du nombre d’élus, mais cela ne doit pas en être l’objectif. D’ailleurs, si on augmente la charge de travail des élus (en cas de création de conseillers territoriaux), il faudra bien poser la question de leur statut, de leurs indemnités et des moyens de leur retour à la vie de non-élu…
Au-delà des tensions générées par cette méthode, c’est la philosophie générale du projet qui est au coeur des difficultés actuelles. L’objectif affiché de la réforme était de renforcer la décentralisation. Mais à ce jour, force est de constater que le gouvernement opère, au contraire, une recentralisation. On assiste ainsi à une forme d’infantilisation blessante, consistant à considérer que les élus ne peuvent pas trouver des consensus et aboutir à des actions concrètes et efficaces. Le projet de réforme prévoit, par exemple, de les priver de toute liberté concernant la répartition des sièges entre communes au sein des intercommunalités. De même, le gouvernement entend renforcer considérablement le rôle des préfets, en leur donnant un pouvoir de décision directe, alors qu’on attend d’eux un accompagnement impartial et neutre. Le traitement réservé aux finances locales, et tout particulièrement la réforme de la taxe professionnelle, donne un autre exemple de cette tentative de destruction de toute capacité d’initiative des collectivités locales. Cette réforme réduirait à néant toute perspective d’autonomie financière et fiscale des collectivités. Il est pourtant indispensable que celles-ci disposent d’une marge de manoeuvre suffisante pour pouvoir, au-delà des dépenses obligatoires, mettre en place leur propre politique. Il en va du respect de leur libre administration, garantie par la Constitution.
La création du conseiller territorial donne lieu à un vif débat parmi les élus. La famille politique à laquelle j’appartiens, l’UDF puis le MoDem, a toujours défendu le rapprochement des départements et des régions, à une condition impérative : qu’il y ait une loi électorale juste qui garantisse la représentation des territoires, le pluralisme et la parité. Il s’agit d’une exigence démocratique. Cette réforme est souhaitable, cette réforme est nécessaire et cette réforme est possible si le gouvernement s’en donne les moyens. Il suffirait pour cela qu’il fasse confiance, comme le dit le rapport « Belot », à «l’intelligence territoriale» et, au-delà, à l’intelligence parlementaire.

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